Chers collègues,
Ce matin, la commission médicale d’établissement de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris a rejeté à une large majorité le plan global de financement pluriannuel (PGFP) présenté par la direction générale (34 voix contre, 20 pour, 1 abstention, 5 refus de participation au vote). Il ne s’agit pas de remettre en cause la construction habile de ce PGFP, qui était une correction de celui de l’an dernier, et qui sera sûrement encore corrigé l’an prochain en raison des restrictions budgétaires imposées aux hôpitaux un peu plus lourdement chaque année.
Les représentants médicaux du CHU francilien ont voulu adresser aux pouvoirs publics un message très clair : l’hôpital ne peut pas supporter les économies demandées par le gouvernement (3 milliards d’euros d’ici 2009) sans mettre en péril ses missions. Faute d’investissements et d’effectifs suffisants, l’APHP diminue son offre de soins et peine à garantir leur qualité, dans un climat général dégradé. D’autres pistes d’économies sont possibles, comme le montre l’appel ci-dessous, que vous avez déjà été très nombreux à signer.
Nous allons continuer à développer et défendre nos arguments auprès des responsables politiques pour que l’hôpital public reste digne de la confiance de nos concitoyens et soit à la hauteur de leurs attentes.
Amitiés et bon courage.
Appel des médecins hospitaliers pour sortir l’hôpital public de la crise
Les hôpitaux publics connaissent une double crise, une crise de financement, et une crise d’adaptation au progrès de la médecine et aux changements des besoins des patients.
La crise financière est due à la volonté des gouvernements successifs de contraindre un peu plus chaque année le budget hospitalier. Ce sont 3 milliards d’économie qui sont à nouveau demandés aux hôpitaux d’ici 2019, Les directeurs d’hôpitaux en déficit devront prendre les mesures nécessaires pour assurer le retour à l’équilibre : geler les investissements, supprimer des activité non rentables, réduire les emplois, utiliser de plus en plus des personnels sous contrats temporaires et demander aux personnels sous statut de travailler plus sans gagner plus, alors même que la « productivité » hospitalière a augmenté selon les sources officielles de 2% par an depuis 2003 et que des journées travaillées et non payées s’accumulent sur des comptes épargne-temps.
La crise de mutation est la conséquence du progrès médical et de l’épidémie de maladies chroniques. Le progrès des prises en charge hospitalière ambulatoire de moins d’une journée ou d’hospitalisation brèves intensifie de travail des soignants qui doivent en faire toujours plus, toujours plus vite. Le raccourcissement du temps de séjour hospitalier nécessite une parfaite coordination entre la ville et l’hôpital et au sein de l’hôpital entre les professionnels médicaux et non médicaux. Toute activité médicale hospitalière, nécessite de penser et d’organiser l’amont et l’aval, l’avant et l’après. C’est parce qu’on n’a pas su construire un service public de la médecine de proximité assurant la permanence des soins qu’il y a 20 millions de passage aux urgences par an. Et c’est le défaut d’aval des urgences qui explique le temps passé par les urgentistes à « trouver un lit ». De même le vieillissement de la population et l’augmentation épidémique des maladies chroniques nécessitent une médecine globale de la personne où le patient et / ou son entourage deviennent des partenaires de soins. Là encore, l’hôpital se retrouve trop souvent en première ligne, sans coordination satisfaisante avec les soignants exerçant en ville. Le cloisonnement des soins entre la ville et l’hôpital et au sein de l’hôpital lui-même a été aggravé par les réformes décidées depuis 15 ans : mise en place des 35 heures hebdomadaires inapplicable faute d’embauches suffisantes et ayant entraîné l’octroi de jours de repos supplémentaires (RTT) variable selon les établissements, tarification à l’activité(T2A) conduisant à une recherche permanente d’augmentation des activités « rentables » et suscitant des pratiques égoïstes non coopératives, mise en place d’une « gouvernance d’entreprise verticale » et d’un « management » d’inspiration taylorienne, obsédés par la fragmentation des tâches et par la « flexibilité » des personnels. Tout doit désormais être quantifié et mesuré. Le temps « administratif » dévore le temps soignant, transformant un travail choisi en un exercice subi. Ces réformes mettant en œuvre « l’hôpital-entreprise » entraînent une perte de sens du métier de soignant et sont responsables de l’amertume et de la démotivation que beaucoup ressentent. Adaptées aux gestes techniques standardisés programmés pour des pathologies de gravité moyenne, soit environ 30% de l’activité hospitalière, ces réformes ont hélas été généralisées à toutes les activités et appliquées indistinctement à tous les personnels. Plutôt que de corriger leurs erreurs, les décideurs politiques ont persévéré en empilant les réformes déstabilisant l’hôpital public, Cette instabilité finit par détruire ce qui est une des conditions essentielles de la qualité des soins et de la satisfaction au travail : le travail en équipe.
C’est pourquoi nous médecins des hôpitaux appelons à redonner du temps et de la liberté aux équipes soignantes en desserrant l’étau actuel qui empêche ou retarde l’adaptation du fonctionnement hospitalier. Nous estimons :
1 qu’il faut en finir au plus vite avec la dictature du « tout T2A » et utiliser conjointement les 3 modes de financement possibles (T2A, dotation et prix de journée) en fonction des activités. La dotation de service, modulée chaque année en fonction de l’activité (la D2A) permettrait par exemple aux professionnels prenant en charge des patients atteints de maladies chroniques de développer les prises en charge alternatives à l’hospitalisation classique et de mettre en place de nouvelles conditions de travail, y compris avec de nouvelles modalités d’application des 35 heures.
2 qu’il faut définir par établissement et par unité de soins les conditions de travail permettant un travail d’équipe stable. Le travail d’équipe doit être coordonné par un médecin et un cadre de santé co-décidant avec l’administration et non seulement chargés d’appliquer les décisions prises par les « manageurs ». Il faut définir au niveau de chaque établissement pour chaque unité de soin, le nombre minimal de soignants permettant d’assurer la qualité et la sécurité des soins.
3 qu’ il faut donner aux hôpitaux la liberté de s’organiser comme ils le souhaitent pour réaliser leurs missions : liberté pour constituer ou non des pôles de gestion ou des départements médicaux, l’unité de base de l’hôpital restant les structures où travaillent les équipes de soins : services ou unités fonctionnelles.
4 que les lits hospitaliers ne doivent pas être supprimés mais redistribués avec plus de lits pour l’aval des urgences et pour les soins de suite.
5 que l’hôpital doit aider les professionnels de ville partenaires à construire un service public de la médecine de 1er recours.
6 que l’évaluation du système de santé ne peut pas se limiter à la somme d’indices portant sur les procédures qui conduisent chaque professionnel et chaque établissement à soigner les chiffres plutôt que le malade, et à ignorer l’aval et l’amont de sa propre activité. Elle doit se faire par pathologie et porter sur les résultats de santé globaux et de qualité de vie incluant la ville et l’hôpital et impliquant les patients et leur entourage.
7 que les pistes d’économies sont connues et doivent être empruntées. Les médicaments génériques sont 2 fois moins prescrits et 2 fois plus chers en France qu’en Angleterre avec un gain possible de 2 milliards d’euros par an pour la Sécurité sociale. Le coût des transports sanitaires ne cesse de croître pour dépasser les 4 milliards par an. Les frais de gestion du système de santé français avec ses 500 mutuelles et compagnies d’assurances privées et ses 18 agences d’Etat coûtent plus de 16 milliards. Le fonctionnement bureaucratique de l’hôpital est coûteux La liste est longue des lobbys privés et publics puissants qui s’opposent aux réformes utiles.
Il appartient aux pouvoirs publics de défendre l’intérêt général au lieu de choisir la solution de facilité : réduire le déficit de la sécurité sociale en augmentant celui de l’hôpital public, qui n’a plus les moyens d’assurer ses missions.
Signataires : Zaïr Amoura, Frabrizio Andreelli, Daniel Annequin, Elisabeth Aslangul, Bernard Augereau, Michel Azizi, Patrick Barbet, Thierry Baubet, Amine Benyamina, Jean-François Bergmann, Jacques Boddaert, Clara Bouché, François Bricaire, Eric Bruckert, Olivier Canceil, Nicole Casadevall, Eric Caumes, Pierre Charbonneau, François Chast, Laurent Chouchana, Davis Cohen, Jean-Philippe Collet, Roland Dardennes, Stéphane Dauger, Jean-Pascal Devailly, Sophie Dimicoli-Salazar, Brigitte Dorémus, Jean Dupouy-Camet, Gilles Edan, Olivier Gagey, Olivier Gall, Joël Gaudelus, Alain Gaudric, Anne Gervais, Jacques Gilquin, Pierre-Marie Girard, Christian Gisselbrecht, Anne Gompel, Bernard Granger, André Grimaldi, Julien Harroche, Agnès Hartemann, Xavier Jeunemaître, Jean Jouquan, Jean-Pierre Kahn, Amina Lahlou, Christophe Lançon, Etienne Larger, Véronique Leblond, Laurence Leenhardt, Marc Lejay, Jean-Pierre Lépine, Philippe Lévy, Francis Louarn, Xavier Mariette, Donata Marra, François Martin, Jean Marzelle, Emmanuel Masméjean, Dominique Mazier, Vincent Meininger, Jean_Claude Melchior, Jean-Philippe Metzger, Noël Milpied, Isabelle Nègre, Thomas Papo, Antoine Pelissolo, Julie Peltier, Jean-François Pinel, Sylvain Renolleau, Jean Paul Richalet, Jean-Pierre Riveline, Jean-Jacques Robert, Ronan Roussel, Elisabeth Rouveix, Rémi Salomon, Marc Samama, Georges Sebbane, Frédéric Selle, Daniel Sibertin-Blanc, Nicole Smolski, Alain Sobel, Antoine Tabarin, Eric Thervet, Nicolas Thiounn, Christophe Trivalle, Dominique Valla, Jean-Paul Vernant, Bernard Vialettes, Laurence Weiss, Michel Zerah.