Voici la tribune collective publiée dans le Figaro du lundi 4 mai 2020 sous le titre “Libérons l’hôpital du fléau bureaucratique!”
Alors que les personnels hospitaliers sont chaleureusement applaudis chaque soir, des voix se font déjà entendre pour repartir comme si de rien n’était, voire amplifier les erreurs ayant conduit l’hôpital public dans son état actuel. La dégradation des conditions de travail et de la qualité des soins est dénoncée depuis la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires de 2009, qui fit de l’hôpital public une entreprise. Depuis, économies, suppressions de lits et de personnels, plans de restrictions budgétaires ont constitué l’alpha et l’oméga d’une gouvernance comptable.
La crise COVID-19 a révélé des pénuries : en personnels, matériels, lits de réanimation, médicaments. Malgré cela, sans moyens suffisants de protection, les personnels soignants, comme tous ceux directement au service de nos concitoyens, ont accompli leur devoir.
En un temps record, des services entiers ont été transformés pour accueillir les patients atteints du Covid-19. Le nombre de lits de réanimation a plus que doublé. Les personnels ont pris en charge cette nouvelle pathologie dans une extrême difficulté.
Durant cette pandémie, le fonctionnement de l’hôpital a enfin retrouvé une logique et une autonomie médicales. Le service de soin est redevenu la structure essentielle. Chacun a retrouvé le sens de son métier : les soignants ont soigné et l’administration les a aidés à soigner, les premiers au service des malades, les seconds, réactifs, à l’écoute. Ainsi l’hôpital a tenu bon et sauvé des vies. Les mesures appropriées ont souvent été anticipées, selon un principe de subsidiarité, sans attendre les instructions des ARS ou du ministère. La réforme de la gouvernance hospitalière promise et attendue doit s’inspirer de ces principes qui viennent de faire la preuve de leur efficacité.
Les mêmes principes se sont aussi appliqués à la recherche qui avec l’enseignement donne un sens et une valeur irremplaçables à l’hôpital public. Tout en faisant face à la pandémie, les médecins et chercheurs, avec les universités et les organismes de recherche, affranchis des pesanteurs administratives et dans le respect de la rigueur scientifique, ont conçu très rapidement des projets de qualité destinés à comprendre cette maladie et trouver des traitements efficaces.
Cette crise a permis une réduction drastique des procédures administratives et une accélération des délais de réponse de la part de bureaux ou commissions d’ordinaire relancés des mois durant avant l’obtention d’un avis ou d’une décision. La suradministration doit s’effacer devant les principes de subsidiarité et de responsabilité des chefs de service et des représentants médicaux. On a pu sortir de cet enfer paperassier, il ne faudrait pas y retomber.
Alors, qu’on en finisse avec cette politique de rentabilité des séjours, utiles ou non, du moment qu’ils « rapportent » ! Qu’on en finisse avec les demandes inutiles de reporting, codages et rapports ! Qu’on en finisse avec l’hôpital en flux tendu ! Il faut augmenter le nombre de lits et étoffer les équipes soignantes. Le temps administratif doit être réduit au profit du temps précieux du soin et de la recherche. Vitesse d’exécution et efficacité ont fait voler en éclat ce système bureaucratique. En recoller les morceaux ne sera pas accepté.
Il faut instaurer un fonctionnement collégial et démocratique, comme cela a été le cas durant cette crise, impliquant tous les métiers de l’hôpital et les patients. Les choix budgétaires doivent être orientés par une stratégie médicale, et les décisions prises par un comité médical intègre et responsable, éclairé par les gestionnaires, et devant rendre compte de leurs choix.
La question du financement est centrale. Si l’argent a coulé à flots sur l’hôpital depuis mi-mars, cela ne durera pas. Pourtant, les difficultés qui ont justifié les mouvements sociaux récents des personnels hospitaliers doivent trouver des solutions.
Le moment est venu d’abolir largement la tarification à l’activité, inflationniste et suscitant des pratiques plus liées à la rentabilité qu’au juste soin. Seule une gestion conçue au plus près des patients, à l’échelle du service, permettra de ne plus s’orienter vers le financement d’actes, mais de structures, de missions et de réponses aux besoins, avec rigueur, sans gaspillages. L’enveloppe budgétaire doit permettre de mieux rémunérer tous les personnels hospitaliers, dont la crise sanitaire a montré le rôle crucial.
Si rien de tout cela n’est entrepris, si la réflexion sur le système de santé, dans ses composantes préventives, curatives, médico-sociales, publiques et privées, ne s’inspire pas des leçons délivrées par cette crise, si les vieux principes soutenus par la technocratie reviennent, l’hôpital public se retrouvera dans un état pire qu’avant la pandémie et continuera de décourager les bonnes volontés. Au lieu du choc d’attractivité nécessaire, ce serait un choc de répulsivité. Au lieu d’un choc de simplification, ce serait un enlisement technocratique et comptable. Ce n’est pas cela que veut la population. L’hôpital doit faire rêver, attirer les jeunes soignants et trouver un nouvel élan au service de nos concitoyens.
Amine Benyamina, psychiatre-addictologue, hôpital Paul Brousse, Université Paris Saclay (UPS)
Catherine Boileau, généticienne, hôpital Bichat, Université de Paris (UP)
Eric Caumes, infectiologue, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université (SU)
Marina Cavazzana, hématologue, hôpital Necker, UP
Pierre Corvol, professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine
Thierry Godeau, diabétologue-endocrinologue, président de la commission médicale d’établissement (CME) du centre hospitalier de La Rochelle, président de la Conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers
Bernard Granger, psychiatre, hôpital Cochin, UP
Jules Hoffmann, biologiste, Université de Strasbourg, prix Nobel de physiologie et de médecine, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie française
Marc Humbert, pneumologue, hôpital de Bicêtre, UPS
Karine Lacombe, infectiologue, hôpital Saint-Antoine, SU
Xavier Mariette, rhumatologue, hôpital Bicêtre, UPS
Gilles Montalescot, cardiologue, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, SU
Pierre Ronco, néphrologue, hôpital Tenon, SU, membre de l’Académie de médecine et de l’Institut universitaire de France
Dominique Rossi, urologue, hôpital Nord, Université Aix-Marseille, président de la CME de l’Assistance publique – hôpitaux de Marseille
Rémi Salomon, pédiatre, hôpital Necker, président de la CME de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris
Jean Sibilia, rhumatologue, hôpital de Hautepierre, doyen de l’Université de Strasbourg, ancien président de la Conférence des doyens de facultés de médecine
Olivier Soubrane, chirurgien viscéral et digestif, hôpital Beaujon, UP
Jean-François Timsit, réanimateur, hôpital Bichat, UP
Stéphane Velut, neurochirurgien, hôpital Bretonneau, Université de Tours
Yazdan Yazdanpanah, infectiologue, hôpital Bichat, UP
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